Deux arrêts fort intéressants viennent d’être rendus par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation concernant la communication des pièces dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire (par Stéphane CHOUTEAU)
– Arrêt n°615 du 5 décembre 2014 (13-27.501) –
Demandeur(s) : Mme Chantal X…
Défendeur(s) : M. Jean-Bernard X…
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Dijon, 16 mai 2013), que, dans l’instance d’appel engagée par Mme Y…, le conseiller de la mise en état, par ordonnance devenue définitive, a déclaré les conclusions, notifiées par M. X…, intimé, irrecevables comme tardives ; quel’appelante a saisi la cour d’appel d’une demande tendant à ce que soient écartées les pièces communiquées et produites par l’intimé lors de la notification de ses conclusions ;
Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de rejeter cette demande, alors, selon le moyen, qu’aux termes de l’article 909 du code de procédure civile, l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ; que doivent être écartées des débats les pièces produites en même temps que des conclusions irrecevables ; qu’en considérant que les pièces qui accompagnaient les conclusions déposées hors délai n’étaient pas irrecevables au motif “qu’en l’absence de dispositions spécifiques de l’article 909 du code de procédure civile ou d’un autre texte, l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intimé ne peut être étendue aux pièces qui ont été versées par celui-ci », la cour d’appel a violé l’article 909 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, si c’est à tort que la cour d’appel a refusé d’écarter des débats les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables, la cassation n’est pas pour autant encourue dès lors qu’elle ne s’est pas fondée sur ces pièces ; d’où il suit que le moyen, inopérant, ne peut être accueilli ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Président : M. Louvel, premier président
Rapporteur : Mme Andrich, conseiller, assistée de Mme Polèse-Rochard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport
Avocat général : Mme Lesueur de Givry
Avocat(s) : Me Bertrand et SCP Piwnica et Molinié
2- Arrêt n°614 du 5 décembre 2014 (13-19.674)
Demandeur(s) : M. Christian Z…
Défendeur(s) : SCP Jean-Michel C…
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte du 5 octobre 2007 reçu par la société civile professionnelle Jean-Michel C… (la SCPJean-Michel C…), notaire, M. et Mme Z… ont, au moyen d’un emprunt souscrit auprès de la société Caisse régionale normande de financement (la société Norfi), acquis de la SCI Les Terrasses d’Alembe (la SCI) un appartement et un emplacement de stationnement en l’état futur d’achèvement ; que la société Caixa d’Estalvis de Catalunya, devenue la société Caixa d’Estalvis deCatalunya Terragona I Mansera (la société Caixa) a consenti, le 11 juillet 2007, une garantie d’achèvement selon contrat stipulant que les versements correspondant aux appels de fonds à mesure de l’exécution des travaux devaient, pour être libératoires, être effectués entre les mains du garant ; que le premier appel de fonds a été payé par la société Norfi directement à la SCI, au vu d’une attestation d’achèvement des fondations établie par M. A…, architecte ; que les travaux n’ayant, en réalité, pas commencé, le permis de construire a expiré deux ans après sa délivrance, soit le 12 octobre 2007 ; que M. et Mme Z… ont assigné la SCIdepuis lors en liquidation judiciaire, la société Caixa, la SCP Jean-Michel C…, notaire, M. A… et la société Norfi en résolution de la vente et du contrat de prêt et en indemnisation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la société Norfi fait grief à l’arrêt de la condamner à payer une certaine somme à M. et Mme Z…, alors, selon le moyen, que l’obligation faite à l’auteur des conclusions de communiquer ses pièces, simultanément au dépôt et à la notification de ses conclusions, est sanctionnée par l’obligation pour le juge, dès lors que la partie adverse le demande, d’écarter des débats les pièces non communiquées en même temps que les conclusions ; qu’en refusant de faire droit à la demande de la société Norfivisant à faire écarter les pièces qui n’avaient pas été communiquées en même temps que les conclusions, au motif que la preuve d’une atteinte aux droits de la défense n’a pas été rapportée, quand la sanction est automatique et qu’elle devait être appliquée avant que les juges du fond puissent examiner les demandes de M. et Mme Z… à l’encontre de la société Norfi, les juges du fond ont violé l’article 906 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant relevé que la société intimée, à qui les appelants avaient communiqué leurs pièces quelques jours après la notification des conclusions au soutien desquelles elles étaient produites et qui avait conclu à trois reprises et pour la dernière fois en décembre 2011, avait été en mesure, avant la clôture de l’instruction le 2 octobre 2012, de répondre à ces pièces et, souverainement retenu que les pièces avaient été communiquées en temps utile, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu de les écarter ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu l’article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter M. et Mme Z… de leur demande indemnitaire à l’encontre de la SCP Jean-Michel C…, notaire, l’arrêt retient qu’à l’acte de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre la SCI et M. et Mme Z… reçu par la SCP Jean-Michel C…, le 5 octobre 2007, le vendeur, qui a indiqué qu’une déclaration d’ouverture du chantier avait été faite par lui le 1er juin 2007, disposait d’un délai de quatre mois et demi et que ce délai étant suffisant pour commencer la construction de manière significative afin d’éviter la péremption, le notaire n’avait pas à procéder à d’autres vérifications ou à exiger la justification d’une demande de prorogation du permis de construire qui n’était pas nécessaire en cas de commencement des travaux ;
Qu’en statuant ainsi, alors que ni la formalité d’une déclaration d’ouverture de chantier ni l’existence d’une garantie d’achèvement ne dispensaient le notaire, tenu d’assurer l’efficacité de l’acte de vente en l’état futur d’achèvement qu’il dressait le 5 octobre 2007, de vérifier le commencement effectif des travaux, seule circonstance de nature à prolonger le délai de validité du permis de construire délivré le 12 octobre 2005, en l’absence de demande de prorogation, et d’informer les acquéreurs des risques qu’ils couraient, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi incident, réunis :
Vu l’article 1147 du code civil ;
Attendu que pour limiter la condamnation prononcée contre la société Norfi au profit de M. et Mme Z…, après partage de responsabilité, l’arrêt retient qu’il y a lieu de tenir compte de la propre négligence des acquéreurs qui n’ont pas respecté les clauses de l’acte ;
Qu’en statuant ainsi après avoir relevé que selon l’acte de vente auquel elle était partie, la société Norfi, banquier prêteur, devait procéder au paiement des acomptes directement entre les mains du garant d’achèvement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
Attendu que la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal n’emporte pas la cassation par voie de conséquence visée à la première branche du troisième moyen du même pourvoi ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches, ni sur le deuxième et le quatrième moyens du pourvoi incident qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à la responsabilité de la SCP Jean-Michel C… et de la société Norfi envers M. et Mme Z…, l’arrêt rendu le 28 mars 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse
Président : M. Louvel, premier président
Rapporteur : Mme Andrich, conseiller, assistée de Mme Polèse-Rochard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport
Avocat général : Mme Lesueur de Givry
Avocat(s) : SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, Me Foussard, SCP Boulloche, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCPRoger, Sevaux et Mathonnet